Dossier sur « l’esprit » et les conséquences attendues de la LPR sur le statut et le métier d’enseignant-chercheur
Comment peut-on détruire le métier d’enseignant-chercheur, supprimer la validité de la référence aux 192 heures, déplafonner les services, détruire le lien indissoluble entre enseignement et recherche, supprimer la liberté académique d’enseigner et de chercher et instaurer une évaluation panoptique déterminant la place et les tâches de chacun, éteindre le corps des MCF… tout cela sans l’inscrire « noir sur blanc » dans la LPR du 24 novembre 2020 ? C’est très simple. La loi n’est viable qu’en s’appuyant sur ces transformations qui fondent l’enseignement et la recherche sur des principes de compétition-mises en concurrence, mises à l’épreuve-évaluation, et différenciation (entre collègues, entre établissements – et donc entre étudiants). La LPR contient ces transformations qui passeront par décrets ou par décisions internes des établissements, au gré de la mise en application des contrats d’objectifs et des différenciations croissantes entre collègues, titulaires ou stagiaires, privilégiés ou surchargés (primes, décharges… et a contrario heures supplémentaires imposées par des moyens divers, ne serait-ce que par l’hybridation, mais aussi la nécessité budgétaire, et bientôt l’évaluation… punitive). Les moyens techniques existent, et les rapports prospectifs de l’IGAENR, riches de propositions en ce sens, tout comme l’évolution outre-atlantique, devraient nous ouvrir les yeux.
Ce dossier est fondé sur l’analyse des avant-projets (GT LLPR), du contexte permettant de modifier le métier et le statut d’enseignant-chercheur, notamment les rapports prospectifs de l’inspection générale (définition du métier, manières d’enseigner, comptabilité des services etc…) , et le texte final de la LPR.
Télécharger ici : Focus sur l’évolution du métier d’EC dans le contexte de la LPR
Annexes. Rappels sur les fondements de la lutte contre la LPPR. AG des personnels mobilisés d’Aix-Marseille Université, 15 janvier 2020, site Schuman. Présentations orales (forcément parcellaires) sur le projet LPPR (Isabelle Luciani, Snesup) et sur la réforme des retraites (Corine Eyraud, CGT) , par ce que tout est lié.
Socio Bootleg Pt info LPPR 15 janvier Luciani
Socio Bootleg Pt info réformes retraite Eyraud
« En route vers la LDPPR, la loi darwinienne pour la programmation pluriannuelle de la recherche est lancée (puisque pour reprendre les propos d’Antoine Petit, simple trait d’humour provocateur à en croire le commentaire de Gilles Roussel : « Il faut une loi ambitieuse, inégalitaire — oui, inégalitaire, une loi vertueuse et darwinienne, qui encourage les scientifiques, équipes, laboratoires, établissements les plus performants à l’échelle internationale, une loi qui mobilise les énergies »). De fait, à lire et à tenter de décrypter les objectifs du groupe de travail sur l’attractivité des carrières dans leur rapport, nous devons réformer nos procédures de recrutement au profit des « meilleurs standards internationaux », afin de recruter les « meilleurs ». Pour autant, les « meilleures pratiques internationales », sont identifiées par leur capacité non pas à générer une production scientifique de qualité (de contenus, il n’est d’ailleurs jamais question dans ce rapport) mais par leur capacité à répondre à la concurrence… qu’elles ont-elles-même générée. On présume par ailleurs toujours que ces standards attirent les meilleurs (« des indices laissent supposer que ce sont les meilleurs talents qui partent [à l’étranger] », est-il écrit p. 20, laissant supposer au passage que ceux qui restent en France (ou les chercheurs étrangers qui s’y installent) ne seraient là que pour bénéficier d’une rente à vie sans visée d’« excellence ». On acte ainsi le paradigme (autre préjugé appliqué au diagnostic) selon lequel la science avance infiniment mieux sur objectifs courts, liés (et rémunérés) à la performance, plutôt que sur le temps long d’une recherche libre, ouverte à la sérendipité, garantie par un emploi stable (le statut de fonctionnaire que la LPPR vise à briser) et des financements pérennes. C’est pourquoi la réponse du GT 2 à la précarisation croissante de la recherche est de multiplier les statuts de contractuels, dans une ESR définitivement structurée par les projets, articulant stars et petites mains, dans une volonté constante de performance, de compétition, de distinction et d’incertitude. Et d’affirmer très sérieusement qu’un CDI de chantier susceptible de s’achever en cours de route et pouvant conduire un post doctorant jusqu’à 40 ou 45 ans est une forme d’installation dans la vie ! C’est pourquoi la réponse du GT 2 c’est l’émiettement du métier d’enseignants-chercheurs (et dans une moindre mesure, de chercheurs) en un fractionnement de carrières, de tâches, de charges, de rémunérations différenciées, chaque individu du rouage étant voué, dans sa course à la performance (ou à la survie), à faire tenir le fragile équilibre de budgets toujours très en dessous du nécessaire. Il en ressort des pistes résolues de dégradation du métier et de destruction des statuts qui contraignent littéralement les enseignants-chercheurs, aujourd’hui, à lutter pour littéralement sauver leur profession, alors qu’ils devraient être en train de porter leur voix, eux aussi, dans un débat de fonds sur la recherche et ses métiers. C’est peut-être là que le mépris des gouvernants pour nos métiers se fait encore le plus profondément sentir. Une lecture attentive du GT2 montre aussi le peu d’inventivité de ce rapport, pétri des prescriptions que les spécialistes de la « gouvernance universitaire » tentent d’imposer depuis des décennies, et d’imitations de pays dont il faut imiter les « performances », sans que jamais il soit question de science, de lien entre recherche et formation : ni de construction, ni de transmission des savoirs dans ce rapport. Après des mois de « concertations », et tandis que les rapports des 3 GT reprennent fréquemment, au bout du compte, les diagnostics et les propositions du ministère, notamment ceux des rapports de l’IGAENR, et le contenu des travaux promouvant le New Public Management à l’université…, le gouvernement laisse volontairement la colère se cristalliser au fil des jours sur ce qu’il laisse supposer n’être que des « propositions », laissant planer – comme il l’a savamment fait avec la réforme des retraites – le flou sur le couperet qui tombera tôt ou tard (à ce jour on ne sait même pas quand…). Au fil des semaines l’angoisse s’ajoute à la colère, la manœuvre étant que nos dénonciations, ne visant que des « propositions », paraissent se dédramatiser (« tout est ouvert, rien n’est figé ! »), … jusqu’à ce que brutalement le texte soit quasi simultanément connu et lancé dans le processus législatif, et que le gouvernement mise alors sur l’épuisement et le choc. Nous devons dénoncer cette méthode qui a fait ses preuves, ne pas en être dupe, et préparer une montée en force de la mobilisation du jour même où le projet sera connu. Par ailleurs, il y a un piège majeur que laissent redouter ces groupes de travail : celui des expérimentations. La meilleure manière de briser le cadre commun de notre métier, d’enterrer sa mission de service publique et de casser l’unité nationale d’une mobilisation, ce sera peut-être non pas d’imposer à tous et toutes de nouveaux statuts et de nouvelles règles, mais de paraître proposer l’expérimentation des différentes « propositions » contenues dans les GT aux établissements dits d’excellence, ou aux établissements dits volontaires, ou aux départements ou disciplines qui souhaiteraient… tous interlocuteurs que le GT 2 définit comme les échelles possibles où ces expérimentations pourraient avoir lieu. Le cas finlandais montre bien qu’une université comme Aalto peut tout changer (100% de postes en tenure tracks depuis 2010), tandis que les autres expérimentent des changements. Pris dans le piège local des « expérimentations », combien de temps tiendront les composantes ou les départements qui refuseront de financer les CRCT, les décharges de services des jeunes MCF ou le maintien de leur offre de formation par la modulation à la hausse des « seniors », comme le suggère le GT ? Combien de temps tiendront les composantes ou les départements qui refuseront de jouer le jeu des assignations managériales (modulations, déplafonnements des volumes horaires d’enseignement, pluriannualisation contractuelle des services individuels en fonction des contrats d’objectifs et de moyens des universités et des composantes), au risque de perdre des moyens alloués à la composante ? Combien de temps des composantes ou des départements d’ores et déjà engagés dans la restructuration par les « instituts » parviendront-ils à maintenir une participation équitable de leurs enseignants-chercheurs à tous les niveaux d’enseignement ? Jouant pleinement la stratégie du « pied dans la porte », certaines propositions du GT 2 pourront même paraître anodines, comme le passage insidieux du compte crédit temps à la pluriannulisation de son service sur la base du contrat d’objectifs et de moyens négocié par sa composante avec l’établissement. Nous croyant libres de gérer notre temps de travail sur plusieurs années, nous remettons en cause l’idée d’un volume horaire plafonné et déclenchant un paiement d’heures complémentaires et admettons que nos choix professionnels sont décidés dans le cadre du contrat global de notre composante, par des décisions qui nous échappent : « Sur le fond, et dans l’esprit d’un service organisé de manière pluriannuelle avec des variations entre les différentes activités, il ne devrait plus, logiquement, y avoir des versements d’heures complémentaires à des enseignants-chercheurs. Des indemnités forfaitisées, pour charges lourdes d’enseignement, pourraient remplacer progressivement les heures complémentaires. Cette mesure irait de pair avec l’assouplissement des règles de modulation, évoqué précédemment. Ceci implique toutefois le déploiement d’une vraie culture du management et de l’évaluation » (p. 49) Au final, la lecture critique de ce rapport (cf. PDF joint) confirme la volonté d’institutionnaliser le manque de moyens et le mépris du plus grand nombre, ceux qui ne répondent pas aux injonctions « stratégiques » des enjeux dits « sociétaux » (définis par qui ? à l’exclusion de quoi ? quand « réinvente-t-on le monde » si on ne peut plus penser et imaginer en dehors d’axes prétendument prioritaires ?) sans qu’on sache pour autant, au bout du compte, pourquoi la performance, la visibilité, la performance et la puissance seraient les uniques fins en soi, dans une société qui ne se préoccupe plus du bien-être intellectuel, sanitaire et moral des populations avec laquelle la science est supposée échanger pour le progrès de tous. Ainsi pourront encore s’amplifier ces belles félicitations d’un rapport de l’Inspection générale rédigé en juin 2014 sur « La gestion des heures d’enseignement au regard de la carte des formations supérieures » : « Partout, les équipes pédagogiques ont cherché à faire aussi bien, voire mieux avec des moyens en diminution ». Ce sera notre travail à l’avenir ? »
Repères sur la LPPR en 4 pages : LLPR info AMU
Tract 4 pages, comité de mobilisation AMU : LPPR V9-Logos-planche-3